1- De la mort à l’image et de l’image à la mort

Frère jumeau de Thanatos, dieu de la mort, Hypnos est, dans la mythologie grecque, le dieu du sommeil capable d’endormir tant les hommes que les dieux.
A travers les siècles, les Grecs nous mettent en garde : il existe un lien intrinsèque, lien de nature, entre le phénomène d’immobilité psychique, de paralysie réflexive qui caractérise la fascination hypnotique, et la menace de mort.

Parmi les multiples récits originaires qui fondent la nature ontologique de l’image, il en est un qui tisse précisément ce lien entre mort et fascination du visible, en l’éclairant par le sentiment du manque induit par l’état du deuil

- Définition de l’imago

Dans l’Égypte Ancienne, à l’occasion d’un deuil, une statuette du défunt, une imago, était fabriquée en terre. Dans un projet de ressemblance, l’objet était élaboré par des professionnels capables de restaurer sur un mode mimétique le visage de celui qui, venant juste de quitter les vivants, induisait un sentiment de manque chez ceux qui éprouvaient la douleur du deuil. L’imago avait pour mission d’accompagner la douleur du vivant, en lui proposant un substitut visuel fascinant capable de combler pour un temps le sentiment de perte. À la date anniversaire du décès, la statuette était sortie du placard noir où elle demeurait le reste de l’année, afin que lui soit consacré un rituel du souvenir. Ceci jusqu’à ce que la détérioration de la statuette marque la fin du deuil.

- De la fascination à la médiation

Dans l’entre-temps qui sépare le début du deuil, de son achèvement, l’endeuillé aura travaillé avec l’image selon un processus évolutif. En effet, alors que l’imago impose au départ son efficacité pour calmer la douleur, elle se révèle rapidement insatisfaisante, frustrante, et creuse. Son pouvoir de fascination est mis à l’épreuve de sa désincarnation, et le malheureux s’aperçoit rapidement que l’imago inerte manque trop de chair pour véritablement combler le manque induit par l’état du deuil.
S’en suit une nouvelle aventure passionnante dans notre relation aux images. Le malheureux va pouvoir s’autoriser à adjoindre à l’imago divers éléments intimes (mèches de cheveux, fragments de vêtements, objets mémoriels divers), qui lui permettront d’échapper à la carence du seul visible, et l’inviteront à solliciter son imaginaire pour renouer avec sa mémoire affective de la personne perdue. Ce faisant, au fil de ce processus qui fait voyager l’image, depuis son projet de copie et de dédoublement du monde, vers la dimension irreprésentable du manque, le malheureux aura parcouru l’intégralité du spectre des typologies de l’image.
De l’imago mimétique, à l’objet réinvesti et réapproprié, nous sommes passés de la fascination à la médiation vers le hors-figure. Le danger tient au refus d’opérer ce voyage de traversée du deuil (traversée du territoire de Thanatos), et dans l’immobilisation régressive face à la seule fascination de la puissance mimétique de l’image.
L’hypothèse de cette immobilité mélancolique menace sans cesse l’humanité d’un enfermement dans un état somnambulique, celui d’un sommeil archaïque et profond, qui empêche l’élaboration du rêve, et le travail psychique.
Si bien qu’une exigence s’impose : comment élaborer des dispositifs qui stimulent le processus de traversée du deuil et dépassent l’effet sidérant de l’image clonique .